adj. (Morale) on donne ce nom aux actions, aux sentiments, aux discours qui prouvent le respect de l'ordre général, et aux hommes qui ne se permettent rien de contraire aux lois de la vertu et du véritable honneur.

L'honnête homme est attaché à ses devoirs, et il fait par goût pour l'ordre et par sentiment des actions honnêtes, que les devoirs ne lui imposent pas.

L'honnête est un mérite que le peuple adore dans l'homme en place, et le principal mérite de la morale des citoyens ; il nourrit l'habitude des vertus tranquilles, des vertus sociales ; il fait les bonnes mœurs, les qualités aimables ; et s'il n'est pas le caractère des grands hommes qu'on admire, il est le caractère des hommes qu'on estime, qu'on aime, que l'on recherche, et qui, par le respect que leur conduite s'attire et l'envie qu'elle inspire de l'imiter, entretiennent dans la nation l'esprit de justice, la bienséance, la délicatesse, la décence, enfin le goût et le tact des bonnes mœurs.

Cicéron et les moralistes anciens ont prouvé la préférence qu'on devait en tout temps donner à l'honnête sur l'utile, parce que l'honnête est toujours utile, et que l'utîle qui n'est pas honnête, n'est utîle qu'un moment. Voyez INTERET, ORDRE, REMORDS.

Quelques moralistes modernes se livrant avec plus de chaleur que de précision et de sens, à l'éloge des passions extrêmes, et relevant avec emphase les grandes choses qu'elles ont fait faire, ont parlé avec peu d'estime et même avec mépris des caractères modérés et honnêtes.

Nous savions sans-doute que sans les passions fortes et vives, sans un fanatisme, ou moral ou religieux, les hommes n'étaient capables ni de grandes actions, ni de grands talents, et qu'il ne fallait pas éteindre les passions ; mais le feu est un élément répandu dans tous les corps, qui ne doit pas être par-tout dans la même quantité, ni dans la même action ; il faut l'entretenir, mais il ne faut pas allumer des incendies.

Les moralistes les plus indépendants de l'opinion se dépouillent moins de préjugés qu'ils n'en changent ; la plupart ne peuvent sortir de Sparte et de Rome, où la plus grande force et la plus grande activité des passions étaient nécessaires ; s'ils sortent de ces deux républiques, c'est pour se renfermer dans les limites d'un autre ordre également étranger au nôtre, à notre situation, à nos mœurs ; du fond de leur cabinet paisible, des philosophes voudraient enflammer l'univers, et inspirer un enthousiasme funeste au genre humain ; ils sont comme des dames romaines, qui de l'amphithéâtre exhortaient les gladiateurs à combattre jusqu'à l'extrémité. Les disciples de Mahomet et d'Odin, avec du fanatisme et des passions, ont sans-doute fait de grandes choses, mais l'Europe et l'Asie souffrent encore aujourd'hui de l'esprit et des préjugés qui leur furent inspirés par ces deux imposteurs. Les sociétés ne sont-elles donc établies que pour envahir ? ne faut-il jouir jamais ? Mango-Capac et Confucius ont été aussi des législateurs, et ils ont rendu les hommes plus modérés et plus humains : ils ont formé des citoyens honnêtes. L'amour de l'ordre et de la patrie ont été chez leurs disciples une mode de leur être, une habitude confondue avec la nature, et selon les circonstances, une passion active. Dans l'espace de 500 ans, il y a eu à la Chine et au Pérou plus d'hommes honnêtes et heureux, que depuis la naissance du monde il n'y en eut sur le reste de la terre.

Jettez les yeux sur cette grande république de l'Europe partagée en grands états plus rivaux qu'ennemis ; voyez. leur étendue, leurs forces, leur situation respective, leur police, leurs lais, et jugez s'il faut exalter les passions dans tous les individus, qui habitent cette belle partie de la terre ; les passions éclairent sur leur objet, aveuglent sur le reste ; elles vont à leur but, mais c'est en renversant les obstacles : quel théâtre d'horreur, de crimes, de carnage serait l'univers ; quelles secousses dans toutes les sociétés, quels chocs, quelle opposition entre les citoyens, si les passions fortes et vives devenaient communes à tous les individus !

Si ces moralistes avaient examiné l'espèce de passions qu'il fallait exciter dans certains états, selon leur étendue, leur force, le temps, les circonstances, ils auraient Ve que généralement les législateurs ont cette attention.

S'il y a quelques contrées où le gouvernement anéantisse le ressort des passions, les peuples de ces contrées sont de malheureuses victimes du despotisme, qui rongent le frein, en attendant qu'elles le brisent, et que des circonstances, qu'amène tôt ou tard la nature, les fassent sortir de la léthargie de l'esclavage.

Dans les monarchies et dans les républiques (s'il n'y a que ces deux gouvernements que la nature humaine éclairée puisse supporter), on entretient les passions dont l'état a besoin : le talent, le mérite, les plus nécessaires à la patrie, ont des distinctions ; et ces distinctions donnent des avantages physiques et moraux, qui font fermenter dans les hommes les passions utiles au degré qui convient. Là, on honore la frugalité et l'industrie ; là, on excite la cupidité ; ici l'esprit militaire, ici les arts, ici l'amour des lais. L'éloquence, la connaissance des hommes, l'art de les conduire, par-tout l'amour de la patrie sont excités ; toutes les conditions, tous les citoyens ont leur honneur, leur objet, leur récompense.

Il faut que dans toutes les sociétés, le plus grand nombre travaille à la terre, s'occupe des métiers, fasse le commerce. Le désir du bien-être, et le fonds de cupidité répandus dans tous les hommes, avec la crainte du mal, de l'ennui et de la honte, suffiront toujours pour animer le peuple, autant qu'il le faut, pour le besoin de l'état. La partie qui doit obéir, ne doit pas avoir dans le même degré de force et d'activité, les passions de la partie qui doit commander. Elles renverseraient toute hiérarchie, toute concorde ; et si elles n'étaient pas dangereuses dans le grand nombre des citoyens, elles y seraient au moins inutiles ; elles font le génie, mais doit-il être dans tous les hommes ? Si vous métamorphosez vos taureaux en aigles, comment traceront-ils vos sillons ? Que ferait le marguillier de saint Roch de l'âme de Caton ? et nos capitaines du guet, de celle de Marius et de César ?

Il n'y a presque point de moraliste et de politique, qui ne généralise trop les idées ; ils veulent toujours voir un principe de tout. Plusieurs d'entr'eux ont encore un autre défaut, ils voudraient donner au monde la loi qu'ils reçoivent de leur caractère ; établir par-tout, et pour jamais, l'ordre qui leur convient dans le moment où ils écrivent, et je vois l'orgueil qui leur dit, tu ne sortiras pas du cercle que je t'ai tracé. Un homme, dont les passions sont actives et turbulentes, qui ne les maitrise pas, veut rendre méprisables tous les états et tous les hommes où il y a de la modération. Il ne se souviendra jamais que l'amour de la liberté portée à l'excès dans Athènes, celui des richesses dans Carthage, celui de la guerre chez les peuples du nord, ont perdu les deux anciennes républiques, et fait des Goths des Normants, etc. les fléaux des nations.

Les passions modérées dans le grand nombre des citoyens, se prêtent aux lais, et ne troublent point la paix. Elles sont pourtant génées par l'ordre général ; l'instinct de la nature est souvent contrarié par les conventions, et l'intérêt personnel presse et repousse l'interêt personnel. Les âmes honnêtes, et qui respectent l'ordre et la vertu, ont donc à vaincre à tout moment, leurs penchans, leurs gouts, leurs intérêts. Un honnête homme a souvent à se dire, je renonce à un plaisir extrême, mais qui ferait une peine sensible à mon ami. La calomnie me poursuit, et je ne me justifierai pas en révélant des secrets qui assurent la tranquillité d'une famille, mais je me justifierai par la conduite de toute ma vie. Cet homme a voulu me nuire, je lui ferai du bien, et on ne le saura pas. Je sais m'arracher à des plaisirs innocens, quand ils peuvent être soupçonnés de ne l'être pas. Ma conduite mal interpretée ferait peut-être perdre à quelques hommes le respect qu'ils ont pour la vertu. J'aime ma famille et mes amis, je leur sacrifierai souvent mes gouts, et jamais la justice. Voilà les sentiments, les discours, les procédés de l'âme honnête et ils suffisent, à ce qu'il me semble, pour qu'on ne soit jamais tenté de l'avilir.

On fait deux profanations du mot d'honnête. On dit d'une femme qui n'a point d'amants, et qui peut-être ne pourrait en avoir, qu'elle est honnête femme, quoiqu'elle se permette mille petits crimes obscurs qui empoisonnent le bonheur de ceux qui l'entourent.

On donne le nom d'honnête aux manières, aux attentions d'un homme poli ; l'estime que méritent ces petites vertus est si peu de chose, en comparaison de celles que mérite un honnête homme, qu'il semble que cet abus d'un mot qui exprime une si respectable idée, prouve les progrès de la corruption.

Heureux qui sait distinguer le véritable honnête de cet honnête factice et frivole ; heureux qui porte au fond de son cœur l'amour de l'honnête, et qui dans les transports de cette aimable et douce passion, s'écrie quelquefois avec le Guarini : O santissima honesta, tu sola sei d'un'anima ben nata l'inviolabil nume. Heureux le philosophe, l'homme de lettres, l'homme qui se rappelle avec plaisir ces paroles de l'honnête et sage Fontenelle. Je suis né français, j'ai vécu cent ans, et je mourrai avec la consolation de n'avoir jamais donné le plus petit ridicule à la plus petite vertu !